Quand votre plan stratégique ressemble à une lettre au Père-Noël, par Anne-Laure Marcadet

Photo d’Alvaro Serrano

 Au cours des dernières années, j’ai réalisé de nombreuses démarches de réflexion et planification stratégique. J’ai pris progressivement conscience que les organisations s’intéressaient plus au résultat (le plan stratégique) qu’au processus qui y mène et surtout à ce qui est nécessaire pour le mettre en place.

Avant de débuter un tel mandat, je pose désormais la question suivante : avez-vous juste besoin d’un document pour vous donner bonne conscience ou avez-vous vraiment envie d’aller regarder en profondeur ce qui va vous permettre de faire une réelle différence pour vos clients ou votre communauté?

Car la différence est importante. Avoir une bonne stratégie ne se résume pas à avoir un plan stratégique. En effet, celui-ci présente de nombreux écueils, dont celui d’être une liste de souhaits, de désirs que l’organisation souhaite accomplir, en espérant très fort que les ressources nécessaires pour y arriver tomberont du ciel comme par magie.

Être stratégique, ce n’est pas seulement avoir un plan stratégique.

 

1 – Les écueils et limites des démarches traditionnelles

Premièrement, les stratégies se résument souvent à des objectifs, non mesurables. Cela se voit lors de la formulation de ce qui devrait être la vision où l’organisation veut devenir le leader de X, ou le numéro 1 de tel marché. Non seulement ce n’est pas nécessairement le type de formulation qui mobilise les troupes, mais c’est souvent difficilement mesurable, sauf lorsqu’on lance un nouveau produit qui n’existe pas (ex : l’Iphone dans les années 90). On espère donc que notre souhait se réalise, mais sans nécessairement trop savoir à quoi cela va ressembler.

Deuxièmement, aucun choix stratégique important n’est fait quant aux priorités[1]. Les organisations veulent souvent tout, sans nécessairement cibler une clientèle spécifique ou renoncer à certaines activités, entrainant ainsi une surcharge de travail pour leurs employés. On met alors l’accent sur l’amélioration continue en tentant d’optimiser au maximum le temps des « ressources » humaines et en leur demandant toujours plus.

On veut tout, parfois même au détriment de la santé des employés.

Troisièmement, on fait des plans à 3 ans, 5 ans, 10 ans, en espérant que peu de choses changent entre temps. Or, nous l’avons vécu avec la dernière pandémie, l’incertitude est trop grande. Prenons l’exemple d’une entreprise de vente de produits de luxe qui aurait misé sur une expérience exceptionnelle en magasin comme avantage concurrentiel. Le confinement aurait eu raison de cette stratégie. L’entreprise aurait dû revoir l’ensemble de ses orientations stratégiques, et pas seulement ses actions quotidiennes.

Dans le contexte actuel, formuler ses voeux de croissance une fois par an n’est plus suffisant. Les traditionnels Lac-à-l’Épaule sont-ils voués à disparaitre? Pas nécessairement, à condition qu’ils soient complétés par des réflexions au moins mensuelles ou par des mécanismes constants d’ajustements.

Nous avons remarqué que peu d’organisations avaient mis en place des outils ou développé une capacité à penser de manière stratégique en continu, par opposition à seulement 1 fois par an au mieux, ou tous les 5 ans au pire.

Certes il est important d’avoir un document qui nous sert de guide. Et au-delà de cela, voici ce que nous vous invitons à regarder ou à prendre en considération pour mettre en place une stratégie réussie.


 2 – Pour une stratégie réussie

Trois éléments sont importants :

  • Partager une vision inspirante et mesurable

  • Maitriser l’art de faire des choix

  • Prévoir des mécanismes d’ajustements réguliers

 

En premier lieu, veillez à partager une vision inspirante et mesurable.

Plutôt que de chercher à être le leader ou le premier, partagez l’impact que vous souhaitez avoir, le changement que vous visez pour votre client ou votre communauté. Par exemple, celle de Google est limpide : donner accès à l’information mondiale en un clic. De plus, cette formulation a le mérite d’être très facilement mesurable : sommes-nous effectivement capables de trouver la bonne information en une seule recherche?

Outre la formulation basée sur le changement que l’on souhaite obtenir pour les autres, il est important d’indiquer dans son plan stratégique quels sont les indicateurs ou mesure qui seront utilisés. Pourquoi est-ce si important? Car cela permet de créer une synergie de l’ensemble des parties prenantes qui veilleront à travailler dans la même direction, plutôt que d’interpréter trop souvent différemment comment elles vont être capables d’atteindre le bon résultat.

 

En second lieu, maitrisez l’art de faire des choix.

Lorsque l’impact souhaité ou le besoin du client est clairement défini, il est important de se poser les quatre questions suivantes : que devons-nous :

  • Continuer à l’identique?

  • Continuer mais changer?

  • Commencer?

  • Cesser? C’est ici que le bât blesse, car il est difficile de renoncer à des éléments dans lesquels on a investi pendant plusieurs années.

 

Enfin, prévoyez des mécanismes d’ajustements réguliers entre la stratégie (qui reste de la théorie) et l’exécution quotidienne.

La stratégie ne devrait plus être l’apanage de la haute direction ou du conseil d’administration, dans une démarche top-down. La stratégie devrait être perçue comme une opportunité d’apprentissage[2] et de validation de ses hypothèses. Les personnes qui exécutent la stratégie sont une source importante d’informations, car ils sont en lien direct avec les clients et la réalité du marché.

Il est donc important de redéfinir les processus traditionnels de planification stratégique pour en faire des processus plus participatifs (en associant l’ensemble des parties prenantes dès le début de la réflexion) et plus agiles[3] (c’est-à-dire permettant une vérification constante de la valeur générée par les produits ou services.)

 

Et si la stratégie ne se résumait donc pas seulement à un plan stratégique utopiste? Le chercheur en stratégie Richard Rumelt (Voir son ouvrage « Good strategy, Bad strategy ») considère la stratégie comme consistant à « identifier le défi fondamental de l’organisation et à définir un ensemble de politique et d’actions pour le résoudre.»

 

3 – Questions à se poser

En conclusion, nous vous invitons à prendre quelques instants pour évaluer la qualité de votre stratégie en vous posant quelques questions élaborées par Raymond Hofman dans son article : How good strategy makes a difference[4]

Source : Raymond Hofman

 

[1] Freek Vermulen – Many Strategies Fail Because They’re Not Actually Strategies – 8 novembre 2017 -https://hbr.org/2017/11/many-strategies-fail-because-theyre-not-actually-strategies

[2] Amy C. Edmondson and Paul J. Verdin – Your Strategy Should Be a Hypothesis You Constantly Adjust – 9 novembre 2017 https://hbr.org/2017/11/your-strategy-should-be-a-hypothesis-you-constantly-adjust

[3] Raymond Hofman – How to develop a great strategy in 4-8 weeks – 1er septembre 2021  https://writing.raymondhofmann.com/how-to-develop-a-great-strategy-in-4-8-weeks-b1f7372de121

[4] https://writing.raymondhofmann.com/remembering-what-strategy-could-be-5baae8c03539

 

Anne-Laure Marcadet