RH et risques financiers, article de Bernadette Petitpas

Qui n’a pas entendu parler de gestion de risques, qu’il s’agisse de risques associés à l’octroi, ou non, de facilités de crédit, ou de gestion des risques d’entreprise (GRE)?

Photo by Loic Leray

Photo by Loic Leray

Les analyses dans une optique de financement portent principalement sur les volets financiers ainsi que sur des volets réglementaires et opérationnels, soit ceux associés aux clients, fournisseurs et partenaires, et sur les risques d’atteinte à la réputation. Dans un contexte de soutien à l’exportation s’ajoutent des éléments qui ont trait au pays, dont les aspects politique, socioéconomique, juridique, et liés à la chaîne d’approvisionnement.

L’Institut canadien des actuaires, peut-être en raison de son souci de stabilité, s’intéresse aussi à la résilience face aux risques, à la culture du risque, et notamment à la tolérance au risque de l’organisation ou d’une de ses entités. Il englobera, dans les ressources et capacités de gestion de risque, toute la gamme de capacités et d’expertise en gestion des risques, les processus opérationnels, l’infrastructure opérationnelle et technologique et le cadre de gouvernance et de contrôle appliqué pour recenser, évaluer, gérer, surveiller, déclarer et communiquer le risque de façon continue dans la poursuite quotidienne de la stratégie et des objectifs d’affaires[1].

Par ailleurs, quand vient le temps d’évaluer à la fois la probabilité et les impacts, les éléments ayant trait à la gestion des ressources humaines seront principalement associés à la perte d’employés clé, à la rémunération, en particulier la rémunération incitative ou à base d’actions, ou aux questions de santé et sécurité au travail[2]. Dans des contextes de fusion ou acquisition sera également analysée la culture…et c’est là que ça se complique, puisque les vues et perceptions varient, notamment, en fonction de l’industrie, du niveau hiérarchique, du rôle dans le cadre de la transaction, de la région et du pays, comme l’illustre une enquête de Mercer[3]. Quand on constate que 90% des sondés dans le cadre de cette étude seraient prêts à quitter un emploi en raison d’un mauvais fit culturel, on mesure facilement l’étendue des risques financiers que cela peut représenter.

“Si la majorité des organisations considèrent que les enjeux liés aux aspects humains sont critiques, beaucoup n’ont pas encore intégré dans leurs pratiques ou leur culture, l’évolution des attentes des employés, notamment au niveau de la quête de sens, de la reconnaissance et du refus des modèles traditionnels trop rigides.”

Étrangement, si la majorité des organisations envisageant une transaction, et elles sont nombreuses, considèrent que les enjeux liés à la gestion des talents ou plus largement aux aspects humains sont critiques, bien des organisations n’ont pas encore intégré dans leurs mission, vision, valeurs, gouvernance, et pratiques, bref, dans leur culture, l’évolution significative qu’on peut observer depuis dix ans au plan des besoins et attentes des employés, tous rôles et niveaux hiérarchiques confondus. Mentionnons seulement le fait que le travail n’est qu’une des facettes de leur vie, le besoin d’autonomie mais aussi d’écoute et d’implication, la quête de sens, le refus des modèles traditionnels trop rigides, le besoin de changement et d’évolution ou encore l’importance accordée au réseau et aux signes de reconnaissance.

En voilà des types de risques à envisager dans ces multiples circonstances…

Mais dites-moi, pensez-vous que ces risques existent aussi quand l’organisation n’envisage ni financement, ni expansion internationale, ni transaction?

  • Vous en coûtera-t-il moins cher de perdre cet employé clé sur lequel repose le succès d’un projet d’envergure ou l’accès à ces clients potentiels que vous aimeriez convertir?

  • Le coût d’opportunité se calculera-t-il différemment?

  • Une embauche ratée, parce qu’il y a un mauvais fit au plan des compétences ou de la culture, vous retardera-t-elle moins et impactera-t-elle moins les dossiers qui lui sont confiés s’ils ne sont pas liés à un événement?

  • Aurez-vous à passer moins de temps à gérer les transitions et les départs, les réactions des employés aux départs, ou tout le processus de recrutement d’une autre personne?

Tout ce temps qui aurait pu, autrement, être consacré à des activités supportant l’atteinte des objectifs de l’entreprise. Et c’est sans compter les coûts directs, ceux associés à d’éventuelles indemnité de départ, à des affichages, le recours à des ressources externes.

Les employés sous-utilisés, ceux qui s’ennuient, seront-ils plus performants? Ceux à qui on a confié des responsabilités qui les dépassent, ceux qu’on n’encadre et n’appuie pas adéquatement, feront-ils moins d’erreurs ou oseront-ils demander l’aide requise? Ces employés qu’on critique sans les appuyer dans leur développement, ceux qui se font rabrouer lorsqu’ils soulignent ce que leurs gestionnaires ne veulent pas voir, chercheront-ils moins à passer sous la vague ou à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs? Votre marque employeur, votre image pâtira-t-elle moins de tout cela pour la seule raison que les difficultés ne sont pas liés à un événement particulier mais font « juste » partie de l’ordinaire?

Combien vous coûtent, au juste, ces inefficacités, ces problèmes vus trop tard, les départs de vos employés clés, ce manque d’enthousiasme et d’engagement, le temps passé à refaire, ou à penser à autre chose?

Toutes ces gouttes d’eau érodent la capacité de l’organisation d’atteindre ses objectifs, sa capacité de créer ou de saisir les opportunités, son image auprès des clients ou de ses employés, actuels ou potentiel, de manière moins spectaculaire, certes, mais tout aussi efficace qu’une catastrophe soudaine.

Et c’est peut-être l’usure, cette trop longue habitude de ne pas corriger le tir rapidement qui est, à terme, la plus coûteuse. Parce que l’implosion a émoussé la capacité autant que l’envie de réagir. Parce que bien du monde, quand surviendra la crise, diront : on s’en doutait, mais « ils » ne faisaient rien.

Quand vous choisirez de changer cette trajectoire, bien sûr il y aura de l’inertie, et puis de la résistance. Il faudra convaincre, par la cohérence entre le discours et les actions, que vous avez décidé de gérer les risques humains.

Avec un peu de chance, peut-être aurez-vous-même décidé de transformer ces risques en source de création de valeur…


[1] http://www.cia-ica.ca/docs/default-source/2016/216001f.pdf

[2] https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/organisation/gestion-risque/taxonomies.html

[3] https://www.mercer.com/content/dam/mercer/attachments/private/gl-2018-research-report-mitigating-culture-risk-to-drive-deal-value-mercer.pdf


Bernadette Petitpas