Repenser la mobilisation des équipes après la crise, un article d'Anne-Laure Marcadet

 



Si garder ses équipes mobilisées pendant la pandémie a pu être un défi pour certains, il est important de garder en tête que cette mobilisation pourra également être un défi lors du retour au travail dans des conditions plus optimales. En effet, il ne suffira pas de reprendre les bonnes vieilles habitudes et faire comme on faisait avant. Pourquoi? Parce que de nombreux éléments ont changé depuis. Nous avons listé quelques défis qui pourraient surgir.

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Le fameux retour à la normale peut créer beaucoup de fébrilité pour certaines personnes qui ont hâte de retrouver leurs collègues en chair et en os, mais également une certaine appréhension car cette nouvelle normalité peut également être synonyme de rigidité dans l’organisation du travail. En effet, la pandémie aura au moins eu l’avantage de sauter le pas vers le télétravail ou vers une version hybride alternant travail à distance et en présence. Elle a également permis d’en comprendre à la fois les bienfaits et les limites, non seulement au niveau de l’organisation du travail, mais également au niveau de la mobilisation des équipes.

I- Revenir aux bases de la mobilisation

Revisitons les bases de la mobilisation. Selon la théorie de l’autodétermination, trois besoins sont à combler pour aller chercher l’engagement des équipes :

  • L’autonomie, c’est-à-dire la capacité à prendre des décisions par soi-même;

  • Le sentiment de compétence, c’est-à-dire le fait aussi bien les savoir-faire que les savoir-être pour accomplir ses tâches;

  • L’appartenance sociale, soit le besoin de connexion avec les autres employés

Le télétravail forcé a profondément bouleversé les façons de faire et a eu un impact sur ces trois composantes. De la même manière, le retour au travail, quelle que soit sa forme, en aura également, les besoins des employés étant tous différents. Par exemple, certains employés ont apprécié de gagner en autonomie, de pouvoir organiser comme ils le souhaitaient leur travail et aimeraient garder une grande liberté lors du retour dans les bureaux. Ce dernier peut dont être perçu comme une menace et un retour en arrière. À l’inverse, certains employés se languissent de retrouver leurs collègues et de renouer avec les relations spontanées et informelles au détour d’un couloir ou pendant l’heure du lunch.

Enfin, pour les équipes qui auront recruté pendant le confinement, elles devront assurer l’accueil physique de ces nouveaux employés qui auront enfin l’occasion de bien connaître leurs collègues qu’ils côtoient par écran interposé depuis plusieurs mois.

Dans un contexte où les besoins de chacun lors du retour dans les bureaux seront différents, voire opposés, et où la grande taille de certaines organisations peut rendre difficile la mise en place d’une organisation du travail à la carte, comment concilier les besoins de chacun?

 II – Trouver le mode d’organisation qui vous convient

Les gestionnaires et dirigeants risquent d’être confrontés à des choix cornéliens lorsqu’il s’agira de tracer les grandes lignes de leur politique de retour au travail :

  • Comment assurer de la flexibilité dans l’organisation du travail, préserver l’autonomie acquise tout en amenant une certaine cohérence dans les pratiques?

  • Comment recréer du lien dans les équipes après tant de mois passés à distance?

  • Comment surmonter les craintes liées à sa santé en raison de l’incertitude entourant l’évolution de la COVID avec ses innombrables variants?

Car nous le savons désormais[1], la conciliation travail-famille, le sentiment d’autonomie, les relations humaines de qualité et la souplesse dans l’organisation du travail font désormais partie des priorités des employés et jouent un rôle important sur leur motivation et leur bien-être au travail.

Les dirigeants se trouvent face à une situation complètement nouvelle pour laquelle aucune solution n’existe. S’il est effectivement possible de s’inspirer des bonnes pratiques mises en place dans d’autres organisations, il faut garder à l’esprit que ce qui va fonctionner pour telle équipe n’est pas ce qui fonctionnera nécessairement pour une autre. En effet, les réalités seront extrêmement différentes et peuvent parfois être complexes.

Une même organisation peut rencontrer de très nombreuses situations selon si tout ou partie de ses activités étaient considérées ou non comme essentielles. Avec pour conséquence une multitude de situations :

  • Équipes 100% en télétravail

  • Gestionnaire en télétravail mais équipe 100% sur le terrain

  • Équipes en mode hybride, avec une partie dans les locaux physiques et une autre à distance

Comment donc choisir le modèle qui correspondra à ses besoins?

Une chose est certaine :  ce choix ne pourra pas se faire sans consulter les principaux intéressés : les employés. En effet, pour maintenir les équipes engagées dans le monde du travail d’après, elles doivent être parties prenantes de la nouvelle organisation.

C’est en comprenant leurs réalités et leurs besoins que les solutions qui émergeront favoriseront leur engagement.

 

 III - Les piliers d’un retour au travail réussi

La toute première étape sera d’avoir un portrait à jour de la situation dans votre organisation au niveau de l’organisation du travail, ainsi que des attentes et aspirations de vos employés :

  • Comment ont-ils vécu le travail à distance?

  • Qu’ont-ils appris de cette expérience?

  • Que veulent-ils garder?

  • De quoi ont-ils besoin pour bien travailler?

  • Quelles sont les équipes et types d’emploi qui peuvent être concernés?

Une fois les grandes lignes déterminées pour toute l’organisation ou chacune des équipes, une attention particulière devrait être apportée aux trois éléments suivants :

  • Comment aligner les équipes en recréant un sens commun?

  • Comment recréer une synergie d’équipe?

  • Comment se préparer pour la prochaine crise et prévoir tout ce qu’il faut pour la gérer avec agilité?

 

1er pilier : aligner les équipes en redonnant du sens

Comme indiqué dans un précédent article[2], il est vraisemblable que la dernière année laisse un certain nombre de traces au niveau de la santé mentale des employés. La capacité de résilience est extrêmement variable d’une personne à l’autre. Avant de tenter d’amener ses équipes à regarder vers le futur, il est important de faire le bilan de ce qui s’est passé dans la dernière année, de ce que, collectivement et individuellement, nous avons appris, de ce qui sera désormais différent, de ce que nous voulons vivre ensemble.

Comme le mentionne Boris Cyrulnik[3], il s’agit de donner du sens à la crise que nous venons de vivre avant de trouver un nouveau sens tourné vers l’avenir. En effet, selon lui : “Si on donne sens à ce qui nous arrive, on supportera ce qui nous arrive. Et si on ne donne pas sens, on va déprimer parce que ça va être une souffrance absurde. Alors que si on donne sens (…) on va mettre en place une manière de vivre ensemble qui soit plus belle et plus harmonieuse (…), on va déclencher un processus de résilience affective, culturelle, et on vivra mieux. ».

Le rôle des ressources humaines va être particulièrement important pour aider les gestionnaires à mettre en place ces espaces d’échanges et de discussion pour clore ce qui s’est passé et permettre d’aligner les équipes vers le futur plutôt que vers le passé. Si votre organisation ne dispose pas d’une équipe dédiée au niveau des ressources humaines (on le constate souvent dans les petites entreprises), vous trouverez dans cet article[4] quelques éléments pour structurer ces échanges avec votre équipe.

2ème pilier : renforcer la synergie organisationnelle

Entre les employés nouvellement embauchés qui n’ont jamais rencontrés leurs collègues en présentiel, et ceux qui étaient considérés comment essentiels et étaient sur le terrain pendant que d’autres étaient exclusivement en télétravail, les défis au niveau de la cohésion d’équipe seront probablement nombreux.

Pour renforcer cette cohésion, les gestionnaires devront s’assurer de créer des activités plus sociales et informelles où toute l’équipe est présente pour apprendre à se connaître et développer une confiance mutuelle.

3ème pilier : se préparer pour la prochaine crise en changeant sa culture organisationnelle

Enfin, parce que la question n’est pas de savoir s’il y aura une prochaine crise, mais quand elle aura lieu, les dirigeants sont invités à porter une attention particulière à leur culture organisationnelle afin de privilégier une culture d’innovation et d’apprentissage facilitant l’adaptation rapide à tout nouveau changement ou crise à venir.

En conclusion, mobiliser ses équipes sera différent de ce qui existait dans l’avant-pandémie, notamment parce que les besoins et attentes ont évolué. Un retour en arrière à l’identique pourrait entraîner plus de démotivation qu’autre chose. La tâche des dirigeants et gestionnaires est de tirer les leçons de la pandémie pour trouver un juste équilibre entre désir d’autonomie et besoin de socialiser, dans le respect.

Sources :

[1] Voir notamment les études de la Fabrique Spinoza et les 12 composantes du bien-être au travail : https://www.fabriquespinoza.org/prod_observatoire/les-12-dimensions-du-bien-etre-au-travail/

[2] https://kroma-conseil.com/actualites/2021/1/28/resilience-un-enjeu-de-culture

[3]https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1776248/boris-cyrulnik-entrevue-celine-galipeau-pandemie-resilience

[4] https://kroma-conseil.com/actualites/2021/1/28/resilience-un-enjeu-de-culture

Anne-Laure Marcadet